CANYON DE COLCA
Le réveil sonne, nous rangeons nos affaires sans réveiller nos deux camarades de chambre, profitons de notre dernier petit-déjeuner de luxe, disons au revoir à Mathieu et partons au terminal de bus. Nous cherchons l’unique agence proposant les trajets jusqu’à Cabanaconde, achetons deux billets et montons dans le bus quelques minutes plus tard. Nous ne sommes de loin pas les seuls touristes à prendre ce bus, plusieurs autres personnes se rendent aussi dans ce petit village, point de départ pour le Canyon.
Il n’est pas encore midi et le trajet dure plus de six heures, la météo joue en notre faveur et nous pouvons admirer le paysage magnifique qui se déroule devant nos yeux. Depuis Arequipa, nous pouvons voir les volcans Chachani, Misti et Pichu Pichu trôner en toile de fond. Le trajet en bus nous permet de nous en approcher et ainsi d’avoir une meilleure vue sur chacun d’eux. Après quelques heures de bus, nous passons l’unité de péage Patahuasi et entrons dans une zone naturelle réservée. D’autres volcans entre dans le décor et le paysage est à couper le souffle. Nous franchissons un col dont la redescente nous donne une vue d’ensemble sur la ville de Chivay. Nous y ferons un arrêt afin d’embarquer plusieurs dizaines de personnes vivant dans les villages avoisinants.
C’est en fin de journée que le bus nous dépose sur la Plaza de Armas de Cabanaconde. Le jour tire gentiment sa révérence et laisse le crépuscule prendre le dessus. Nous faisons un tour du village pour y dénicher une auberge où passer la nuit et tombons sur un Suisse-Allemand de St-Gall venu s’installer ici il y a quelques mois. Puisqu’il ne parle pas français et que nous ne parlons pas allemand, nous dialoguons en espagnol. Cette petite rencontre bien sympathique ne nous a pas aidé à trouver de lits pour la nuit ; nous retournons donc sur la place principale du village et entrons dans l’auberge située au coin de celle-ci, l’auberge Villa Pastor. Le réceptionniste nous loue une chambre double, nous posons nos affaires. Nous savons que le restaurant d’à côté est le seul du village à posséder du wifi. Xavier, observateur, a vu un petit papier avec un code sur le comptoir. Il l’a mémorisé durant le check-in et nous le testons avec succès une fois dans la chambre. Et hop, voilà comment avoir du wifi gratuit ! Nous sortons souper. Ce soir, ce sera lomo saltado dans un petit restaurant tout simple dont la tenante est adorable. Nous rentrons nous coucher afin d’être en forme pour la longue journée du lendemain.
Premier jour dans le canyon :
Le coq chante exactement à huit heures, comme s’il savait qu’il devait venir nous réveiller. Nous rendons les clés de notre chambre et découvrons un ciel bleu vide de nuage et un soleil radieux. La journée promet d’être belle et chaude. Nous mangeons notre petit-déjeuner sur la place principale, accompagnés par un chien cherchant un peu d’ombre sous les bancs. Le soleil tape déjà fort et nous invite à nous couvrir de crème solaire avant que l’on devienne rouge écrevisse.
L’objectif du jour est de rejoindre Llahuar, un petit village au fond du canyon, réputé pour ses sources d’eaux thermales, à dix kilomètres de Cabanaconde et 1200 m de dénivelée plus bas. Ces informations sont suffisantes pour nous annoncer quel type de journée nous allons passer. Nous sortons les bâtons de marche et décuplons tout notre courage. Nous rejoignons le mirador Achachihua à l’ouest de Cabanaconde pour avoir une première vue sur le canyon. Ce qui se présente à nous est si différent de tout ce que l’on a pu connaître lors de précédents treks ; le canyon est profond mais tellement large qu’il ressemble plutôt à une longue vallée. Le décor reste magnifique. En face, nous distinguons le chemin que nous prendrons lors de notre troisième jour de marche. Il nous paraît drôlement loin et l’idée de devoir descendre jusqu’en bas pour tout remonter nous fait déjà suer.
Cette fois, il est temps d’entamer les choses sérieuses. En mettant un pied devant l’autre, nous suivons le chemin de pierres qui nous emmènera dans les entrailles du canyon. C’est un terrain aride où les cactus trouvent bien facilement un endroit où se planter. La roche qui nous environne emmagasine la chaleur et nous la renvoie directement au visage. Si la première partie du sentier reste relativement facile, la seconde l’est beaucoup moins. Pente raide, glissante et casse-genoux. La chaleur ne rend cette marche que plus compliquée. Les millions de zigzags effectués auront épuisé notre moral et nos orteils râlent d’être sans cesse écrasés. Pour notre plus grand bonheur, nous arrivons à Chuirca, lieu de jonction entre les deux parties du canyon. Nous traversons la rivière sur un pont un peu branlant et nous mettons à l’ombre pour grignoter une barre de céréale.
Nous rejoignons la route et montons pendant quelques dizaines de minutes. Le petit village où nous nous dirigeons n’est pas si facile d’accès ; maintenant que nous sommes au fond du canyon, il nous faut remonter le long de la route jusqu’à trouver l’intersection pour Llahuar. Nous suivons ensuite un sentier non carrossable menant directement à un petit village aux airs fantomatiques où une petite dame voutée s’occupe de son potager. A présent, il s’agit de redescendre une pente raide, traverser un autre bras de la rivière et remonter jusqu’à Llahuar sur le versant opposé. Le pont nous permettant de traverser est des plus rustique. Quelques bouts de bois attachés ensemble permettent de franchir les gros cailloux glissants et le courant fort de la rivière. Je laisse Xavier passer en premier et le suis d’un pas hésitant. Nous croisons deux villageois en train de se baigner dans l’eau glacée et nous remontons en direction de la lodge.
La fille de la tenante de l’auberge nous accueille et nous invite à nous assoir à une table, le temps de reprendre nos esprits. Nous profitons de sa présence pour lui demander une chambre pour la nuit et de lui commander un menu du jour. Certes, il est déjà presque 15 heures mais nous n’avons pas pris le temps de dîner. Elle nous apporte une grande tortilla de légumes et un coca ; après quoi nous prenons nos quartiers dans le petit cabanon aménagé en chambre double. Nous n’avons pas perdu notre objectif de vue et enfilons nos maillots de bain pour rejoindre les sources d’eau chaude un peu plus bas.
Nous découvrons deux bassins de taille moyenne juste à côté de la rivière. Nous glissons un pied dans l’eau à trente-cinq degrés et nous empressons de nous glisser tout entier à l’intérieur. Nous sommes seuls pour le moment mais serons bien vite rejoints par deux couples français, un couple hollandais et un autre du Nicaragua. Nous passerons deux bonnes heures à barboter et relâcher nos muscles bien contents de cette fin de journée. Xavier, qui commence à avoir trop chaud, tente de tremper un orteil dans la rivière bien froide. Essai non concluant, il revient auprès de moi dans le bassin. Le temps file et voilà qu’il est déjà l’heure de se sécher avant d’aller prendre le souper préparé par les cuisiniers de la lodge. Nous passerons une très agréable soirée en compagnie de toute l’équipe francophone.
Deuxième jour dans le canyon :
Aujourd’hui, chacun prend un chemin différent. Certains se rendent directement à l’Oasis de Sangalle en bus pour les découragés ou à pied pour les courageux, d’autres optent plutôt pour Malata, un village dans les hauteurs. Nous, nous irons à Fure dans le but de voir la cascade de Huaruro. Lors du petit-déjeuner, nous rencontrons un Français et sa femme Irlandaise accompagnés d’une guide locale qui se rendent aussi à ce village. Nous demandons alors quelques informations à la guide sur la trajectoire à suivre et s’il est possible loger et manger là-haut. Tout semble être possible et nous décidons donc de nous y rendre.
Les agences que nous avions visitées à Arequipa avant notre départ nous ont décrit le canyon comme ayant des villages où il est possible de s’approvisionner, manger et dormir. De plus, chaque touriste doit s’acquitter d’un droit d’entrée de septante soles dont les agences assurent qu’ils sont reversés aux communautés du canyon et que tout cet argent les aide à mieux vivre. Nous sommes donc partis avec nos petits sacs remplis d’eau et de quelques snacks mais sans aucun repas ni aucun matériel de cuisine. La réalité sera toute autre et bien difficile à accepter.
Nous laissons la guide et ses deux clients partir devant et nous leur emboîterons le pas quelques minutes plus tard, le temps de régler la note et de préparer nos sacs. Nous allons donc aujourd’hui remonter l’autre pente du canyon. Nous entamons la montée bien sèche à travers la forêt, à l’abri du soleil. Un petit ruisseau coule et rend ce lieu bien paisible. Bien vite déjà, nous quittons la forêt et évoluons sur sentier étroit fait de gravier. Nous croisons un muletier avec ses ânes et continuons de longer la face du canyon. La vue est dégagée et splendide mais tout est sec et aride. Pour voir le canyon verdoyant de toute part, il faudrait venir après la saison des pluies. Nous suivons la courbure du coude de la montagne, descendons puis remontons jusqu’à l’intersection entre le village de Llatica et le chemin menant à Fure. Nous décidons de nous octroyer une pause à cet endroit et d’attendre nos trois compagnons de route que nous avons dépassé un peu plus tôt.
Une fois arrivés, nous demandons à la guide s’il est possible d’acheter quelques aliments à Fure ou s’il est mieux de le faire à Llatica. N’étant pas bien sûre de ce que nous trouverons à destination, elle nous incite à aller voir à Llatica. Nous descendons donc en direction du village et découvrons des maisons construites en adobe, un bâtiment ressemblant à une école, des petits jardins. Tout est pauvre et rudimentaire. Il n’y a pas âme qui vive et le village semble désert. Nous poursuivons en espérant trouver quelqu’un. Un chien nous court dessus et aboie de toutes ses forces. Une dame se trouve un peu plus loin derrière, dans un champ. Nous nous dirigeons vers elle pour lui demander s’il est possible de trouver quelques fruits et du pain. Elle nous répond sur un ton tout désolé qu’il n’y a absolument rien ici mais que si nous avons faim, elle peut nous faire à manger en moyennant d’attendre une heure. Nous sommes très touchés par son geste mais comme il n’est que neuf heures et demie du matin, nous n’allons pas dîner maintenant. Elle nous emmène jusqu’à sa maison où nous trouvons sa maman assise parterre, visiblement malade et très vieille, ainsi que trois bébés chats en train de jouer autour d’elle. La dame nous donne deux paquets de crackers en échange de quelques sous et nous repartons chargés d’un poids sur les épaules. Ce village ne ressemble pas du tout à un village prospère et développé comme nous l’imaginions après les dires des agences.
Nous remontons jusqu’à l’intersection où nous avions fait une pause un peu plus tôt et prenons l’autre chemin en direction de Fure. Nous traversons un pont et rejoignons la rive opposée. Cela nous offre une vue plus globale de Llatica. Le chemin semble monter dans la forêt et contourner la face. Nous ne voyons aucun signe des trois marcheurs partis devant nous. Cette partie sera bien plus difficile que la précédente. En effet, nous découvrons une montée raide et technique. Nous serons obligés d’utiliser nos mains par endroits afin de gagner du terrain. La chaleur n’aidant vraiment en rien, nous ne sommes pas tant rapides que cela. Pourtant, nous rattrapons ceux de devant qui semblent également en galère. Nous les dépassons et leur donnons un peu de courage au passage. Nous avons de la peine à visualiser où peu bien se trouver Fure puisque tout ce que nous voyons n’est que roches, buissons et arbres secs. Nous finissons tout de même par tomber sur un vieux pont. Nous traversons, suivons les flèches et tombons sur le village de Fure, construit tout en longueur.
Toutes les maisons ont les portes closes et les volets sont fermés, il n’y pas un bruit et tout semble abandonné. Encore une fois, nous ne comprenons pas bien ce qui se présente à nous. Tout est si différent de ce que nous imaginions. Nous trouvons quand même deux dames affairées dans une cuisine. Nous leur demandons s’il est possible de rester pour la nuit et s’il y a moyen de manger ici. Elle nous assure qu’il n’y a aucun problème ; nous payerons donc vingt-cinq soles chacun pour un lit double et dix soles chaque repas. Il nous a fallu quelques heures pour rejoindre ce village depuis Llatica et il nous faut encore une heure pour aller voir la cascade. Ce n’est que de la musique d’avenir pour le moment ; nous sommes fatigués et une bonne pause s’impose. La guide et le couple arrivent à destination et nous constatons que nous serons à la même tablée pour le repas, et pour toute la journée.
C’est à ce moment que la guide nous explique que Fure a été abandonné il y a quelques années bien que les villageois venaient d’y amener l’électricité à dos de mulets. En effet, Fure n’est accessible qu’à pied et avec beaucoup de sueur. Quand la route du canyon a été construite, les villageois y ont vu une opportunité en or et ont choisi de quitter les lieux pour reconstruire un village en bordure de cette route, facilitant le commerce et les trajets. Si la cuisinière et sa fille sont présentes aujourd’hui, c’est uniquement parce que la guide les a contactées spécialement pour l’occasion. Nous sommes donc chanceux de les avoir rencontrés et de pouvoir nous joindre à eux, sans quoi nous aurions dû faire demi-tour et espérer trouver un endroit où loger.
Nous dînons avec nos hôtes, profitons de nous reposer et écoutons les anecdotes rocambolesques de la guide. Nous profitons qu’elle parle français pour lui demander la raison de cette taxe d’entrée si élevée. Elle nous explique qu’au début, l’association du parc avait fixé cette taxe pour aider les communautés du canyon et développer l’économie du coin. Cependant, ce ne sont que des paroles dans le vent car les villages ne touchent pas un centime de cet argent et doivent se débrouiller seuls pour vivre (ou survivre). Les touristes sont pris au piège lorsqu’ils décident de venir au canyon avec une agence ; tout est si bien organisé qu’ils sont obligés de payer sans protester.
Après cette discussion enrichissante et plutôt révoltante, nous nous remettons en route pour aller voir la cascade de Huaruro. Le chemin est étroit et longe la face de la montagne jusqu’à s’engouffrer au fond de la vallée en face de Fure. Lorsque nous étions au mirador de Achachihua avant de descendre dans le canyon, nous avons aperçu cette cascade en toile de fond et cela nous permettait de voir où nous allions nous rendre. Aujourd’hui, l’angle avec lequel nous voyions cette cascade nous paraît si précis et improbable. En effet, la cascade se trouve tellement cachée et protégée par les parois rocheuses que, vu d’ici, cela nous paraît tout simplement impossible. Pourtant, c’était bien elle que l’on voyait.
Une fois arrivés face à la cascade, nous cherchons un chemin pour descendre à son pied. Le sentier ne me semblant pas des plus praticable, nous décidons de l’admirer depuis notre position déjà satisfaisante. L’heure avance et le soleil descend progressivement, il nous faut déjà rebrousser chemin jusqu’à Fure.
Troisième jour dans le canyon :
Le réveil sonne à six heures du matin. Nous souhaitons partir assez tôt pour éviter au maximum la chaleur épouvantable du canyon. La cuisinière travaille déjà derrière ses fourneaux et nous prépare de très bons pancakes. On se régale puis il est l’heure de se mettre en route. Aujourd’hui, nous nous rendrons à l’Oasis de Sangalle en passant par le mirador Apacheta, dans le coude de la montagne nous donnant une vue sur toute la vallée principale du canyon. L’Oasis de Sangalle n’est rien d’autre qu’un espace vert au fond du canyon où plusieurs hôtels ont été construits. Le touriste classique passe deux jours à Colca : il marche jusqu’à cette oasis en passant par San Juan de Chucho, dort une nuit à l’Oasis et remonte à Cabanaconde le second jour. Sachant à quel point cet endroit est touristique et les prix démesurés, nous n’avions pas forcément prévu d’y passer. Pourtant, notre curiosité aura été plus forte que tout le reste et nous finirons quand même par nous y rendre.
Le chemin est long et il me donne l’occasion de travailler mon vertige avec hardiesse. La première partie nous est déjà connue puisque nous revenons sur nos pas effectués la veille jusqu’à la bifurcation indiquant Oasis Sangalle. De là, le sentier commence en pente douce puis descend pour mieux remonter de l’autre côté. Le gravier et les cailloux mal agencés nous donnent du fil à retordre. Quand nous croisons une dame à dos de mulet, nous sommes bien contents d’être à pieds et de pouvoir gérer la distance entre la montagne et le gouffre sur notre droite. Depuis le début de notre périple dans le canyon, nous levons régulièrement les yeux dans l'espoir de voir un condor. Ces grands rapaces sont typiques du canyon. Nous ne sommes malheureusement pas dans la bonne saison pour les observer. Nous aurons tout de même la chance d'en voir un voler au dessus de nos têtes. Nous poursuivons notre route et il nous faudra quelques heures pour rejoindre la fameuse route carrossable du canyon et ses dizaines de touristes venus marcher pour la journée.
Nous suivons la route jusqu’à ce que maps.me nous indique un raccourcit pour descendre de manière plus directe à l’oasis. Si nous suivons l’itinéraire classique, nous devons marcher jusqu’à Malata, le prochain village, et cela rallongerait la marche de plusieurs kilomètres. Le raccourcit n’étant, bien entendu, pas indiqué, nous passons quelques minutes à épier le bord de la route. Nous trouvons un chemin de gravillons pentu à souhait. Nous veillons à ne pas glisser en nous aidant de nos bâtons de marche et atteignons un replat avant de poursuivre la descente jusqu’à la route officielle.
Là, un vieux monsieur attend les touristes avec impatience. Il vend de l’eau, diverses boissons gazeuses, des bananes et quelques snacks. On lui demande les prix par curiosité. Il nous annonce, sans tourner autour du pot, qu’une bouteille d’eau de deux litres coûtent dix soles alors qu’à l’oasis elle en coûte treize. Sachant qu’elle n’en coûte que deux au supermarché, nous lui sourions et lui expliquons que nous avons une bien jolie pompe pour filtrer l’eau de la rivière. On lui achète quand même deux bananes et continuons notre descente jusqu’à l’oasis. La roche est magnifique avec ses quelques cascades tombant dans la rivière. Nous traversons un pont puis entamons la remontée pour rejoindre le complexe d’hôtels.
Entre ce que nous avons entendu, ce que nous avons lu et ce qui est vrai, nous décidons de visiter chaque hôtel pour demander les prix de la nuitée et des repas pour ainsi faire le choix le plus économique. Nous retournons finalement au premier hôtel et négocions un prix général. Le gérant accepte et nous prenons nos aises dans le petit cabanon mis à notre disposition. Il est presque midi et le reste de la journée promet d’être relaxant : piscine, cocktail et bon bouquin.
Quatrième jour dans le canyon :
La remontée à Cabanaconde depuis l’oasis est la plus connue et la plus redoutée par tous les marcheurs. C’est environ mille mètres de dénivelée qui attend chacun de nous. Il faut environ plus de deux heures à un marcheur moyen pour atteindre le sommet. Cela vous laisse peut-être imaginer la pente à laquelle nous allons faire face. Nous l’avons baptisée « Le Mur ». Si certains sont inquiets à l’idée de souffrir au milieu de cette paroi rocheuse, nous, nous sommes plutôt excités. Nous nous réjouissons de tenter une nouvelle expérience et nous lançons le défi d’arriver au sommet en moins de deux heures, histoire qu’il y ait un peu de challenge.
Nous avions prévu de partir avant le lever du soleil pour éviter au maximum la chaleur, mais la petit-déjeuner n’étant servi qu’à six heures, nous finirons par retarder un peu notre départ. Si vous pensez que manger est plus important à nos yeux, vous avez absolument raison ; tout passe par l’estomac, surtout le mien.
C’est donc à six heures et demi que nous enclenchons le chronomètre et que nous foulons les premiers mètres, suivi par un Américain rencontré la veille. Nous nous fixons un rythme et essayons de le tenir. Bien vite, nous sentons notre souffle se raccourcir et les premières gouttes de sueur perler sur notre front. Je regarde ma montre et il n’est pas question de ralentir. Nous mettons un pied devant l’autre, soufflons et recommençons le processus. Au moment où nous étions reconnaissants d’évoluer sur un chemin continu et sans grosses difficultés apparentes, voilà que le chemin se transforme progressivement et laisse place à de grosses pierres irrégulières. Logique, on grimpe littéralement la face de la montagne. Notre cadence diminue un peu sans pour autant ralentir considérablement. Notre journée au Machu Picchu nous aura au moins renforcer les mollets pour aujourd’hui ! On rattrape un premier couple que nous n’avons même pas vu partir ce matin. On les dépasse et continuons sans leur prêter attention. Xavier me décourage à galoper comme une gazelle et à m’indiquer le nombre de mètres qu’il reste. Je me focalise sur ma respiration et mes pas. Nous rattrapons deux autres couples puis bientôt un quatrième. On prend le temps d’admirer la vue, plus que magnifique, qui s’offre à nous. Nous ne marchons que depuis une heure et pourtant nous sommes déjà à une hauteur considérable. Mais bon, pas le temps de s’émouvoir, le chrono tourne.
Lorsqu’il ne reste qu’un tiers à effectuer, nous décidons de quitter le chemin officiel pour nous aventurer sur un sentier très officieux. En effet, au sommet se trouve un « péage ». En se positionnant à cet endroit, les gardes s’assurent que chaque touriste s’acquitte de la taxe d’entrée dans le canyon qu’on soit en train d’y entrer ou d’en sortir. Refusant de payer cette taxe hors de prix alors que nous sommes en train de quitter le canyon, nous bifurquons et continuons notre montée infernale jusqu’au mirador San Miguel où aucun contrôle n’a lieu. Le chemin devient quelque peu broussailleux et mal entretenu, le soleil tape fort et le chrono tourne toujours. Nous arrivons finalement quelques minutes plus tard au mirador, rouges comme des tomates, à bout de souffle, trempés et avec les muscles en feu. Je n’oublie surtout pas d’arrêter mon chrono, déprimée d’avance de regarder le temps qu’il m’indique. Nous sommes convaincus d’avoir mis plus de deux heures et sommes d’avance frustrés de nous être donnés tant de mal. Par principe, je le regarde quand même et n’en reviens pas en lisant 01:35 :47 affiché sur le cadran de ma montre. Ce sera sûrement la plus belle performance que nous aurons effectuée jusqu’à aujourd’hui.
Nous apprécions le moment et la vue qui s’offre à nous, puis repartons d’un bon pas en direction de Cabanaconde pour prendre le bus. Nous achetons au passage quelques pains, de l’eau et du chocolat. Au moment où nous sortons de la supérette, nous voyons le bus pour Arequipa se diriger droit sur nous. Nous lui faisons de grands signes pour qu’il s’arrête et nous laisse monter. Conciliant, il nous prend au passage et nous voilà partis pour plusieurs heures de route jusqu’à Arequipa. Nous retrouvons nos hôtes de la veille super contents de nous revoir ; ils sont eux-aussi contents de leur performance et ont même eu le temps de boire un café à l’arrivée. Nous allons nous assoir un peu plus loin et dégustons notre chocolat bien mérité.
Le bus prend normalement six heures pour faire la liaison Arequipa-Cabanaconde. Mais voilà que ce jour-là, quelques problèmes sur la route viennent agrémenter notre trajet. Nous passerons plus de huit heures assis dans ce bus rudimentaire et sans toilettes chimiques. Une fois arrivés à Arequipa en début de soirée, nous n’avons plus le courage de retourner à l’auberge à pied. Nous décidons alors de partager un taxi avec un Américain rencontré à l’Oasis de Sangalle et déprimé du résultat des élections. Trump vient d’être élu. Nous discutons le long du trajet puis nous nous séparons une fois arrivés à l’auberge de jeunesse.
Le Mango étant plein, nous passerons la nuit dans une autre auberge non loin de là. Nous profitons de son calme pour nous accorder une journée de repos avant de reprendre la route pour Huacachina. Là-bas nous attend Laurent, un copain d’école de Xavier, pour faire du ski sur les dunes de sable.